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Insolite restauration d'une Méthode de Violoncelle 1839

 

Invitation dans le monde de la restauration d’un livre de musique, une Méthode de violoncelle écrite par Bernhard Heinrich Romberg, qui mêle enquête et découvertes. Un livre UNIQUE !

 

Nombreux sont ceux qui connaissent les vieilles partitions de musiques entassées dans les greniers des grands-parents. En France, les livres de musiques sont le plus souvent publiées aux éditions Henry Lemoine qui, depuis plus de deux siècles, publient des ouvrages d’une grande variété. La musique est un très vaste domaine dans le monde du livre, qui n’intéressent souvent que les musiciens, et se lancer dans la collection d’ouvrages de musique demande d’abord quelques recherches.

 

J’ai la chance de connaître un client chineur, un peu « touche-à-tout », humaniste des temps modernes, qui a le don de savoir où regarder, et de relever les bizarreries intéressantes de ces vieux livres poussiéreux. Un jour, il est venu me trouver pour me demander mon avis sur une de ses trouvailles : la Méthode de violoncelle écrite par Heinrich Bernhard Romberg, qu’il trouvait jolie, et dont les gardes et premières pages étaient couvertes de textes manuscrits, signés et datés de 1839. Malgré quelques griffonnages d’enfants et des taches d’encre, le bloc texte était intact, intéressant par son gaufrage, ses nombreuses gravures et les ajouts manuscrits sur les 4 premières pages ; la couverture ne m’a pas interpellée plus que cela : reliure classique de la Restauration, demi-cuir marron glacé sur un papier à la colle aux motifs coulée romantique marron/beige. L’état extérieur étant délabré, je renonce d’emblée à une quelconque restauration de la couverture : carton détruit par l’humidité, dos entièrement déchiré aux mors, tranchefiles absentes, soufflet en miettes, papier marbré délavé et déchiré.

Seule la pièce de titre, sur cuir rouge, était récupérable et intacte quoique très sale et ayant souffert des conditions de conservation. Une chance que le bloc texte n’ait pas subi les mêmes dommages.

 

Avant de lui conseiller de le conserver ainsi, ou d’en racheter un exemplaire neuf à bas prix, je prends quand même le temps de faire quelques recherches sur l’auteur, l’ouvrage, pour situer sa valeur historique et culturelle, interpellé que j’étais par les mentions manuscrites ajoutées sur les premières pages.

 

 

 

Première observation après recherches, je vois que l’édition originale de la Méthode de violoncelle de Romberg date de 1840 (publiée en deux parties, la même année en France et en Allemagne). Cependant, sur la page de titre, sous la mention « Éditions Lemoine », je vois la date Mai 1839, un an avant l’édition originale et, contrairement à celle-ci, l’ensemble de la méthode est publiée en un volume. L’édition de 1840, imprimée également chez Lemoine, présente des différences avec mon exemplaire : 2 tomes, demi-cuir vert avec un papier ombré glacé veiné rose. Et surtout, le texte commence directement par l’avant-propos suivit du portrait de l’auteur : 4 pages de texte manuscrit présentes en 1839 ne figurent pas ici. Pourquoi ? Parce-que, mieux que l’édition originale, le livre que je tenais était en fait le travail d’étude que Romberg avait présenté à l’Académie royale de musique un an plus tôt pour obtenir le privilège du roi de publier librement sa méthode de violoncelle. On note d’ailleurs sur la page de titre la présence du tampon rouge de la Bibliothèque royale. C’est un peu comme, aujourd’hui, lorsqu’un doctorant fait publier son travail de recherche pour les membres de son jury, avant d’obtenir l’autorisation de le diffuser.

 

 

 

 

 

 

En effet, dans les procès verbaux de la ville de Paris de 1839, il est mentionné que Romberg a présenté à l’Académie royale de musique une méthode de violoncelle pour obtention du privilège du roi.

 

Cet exemplaire de 1839 est donc UNIQUE, ou presque, puisque, si l’on met de côté l’impression coûteuse du volume aux frais de « l’étudiant », les seuls exemplaires autorisés à être imprimés étaient ceux destinés aux membres du jury, qui, au nom du roi, valideraient ou non cette méthode pour une publication avec privilège, comme il l’est clairement expliqué en page 1.

 

 

 Et c’est là qu’une lecture approfondie des ajouts manuscrits, avant la page de titre, en page 1, 2 et 3 (qui ne figurent donc pas sur l’édition « originale ») est intéressante : les noms, signatures, et commentaires des membres du jury y figurent, avec la date du 27 Juin 1839, noms que l’on retrouve justement dans les procès verbaux de la ville de Paris de la même année.

 

En tout, un jury composé de 4 membres, dont le directeur du conservatoire de musique.

 

 

Ce qui signifie que cette édition, ou plus justement l’impression de ce travail d’étude soumise à l’approbation, ne doit pas dépasser les 4 ou 5 exemplaires !

 

 

 

Valeurs historique et culturelle prouvées, je me suis mis d’accord avec son propriétaire pour le remettre à neuf, et préserver cette pièce du patrimoine musical unique. Rien, sauf la pièce de titre, ne pouvant être récupéré de la couverture, je devais retrouver exactement les mêmes matériaux d’époque pour refaire exactement la même reliure, et surtout, procéder à une analyse complète du livre lors du démontage pour le refaire exactement tel qu’il était. J’ai noté le schéma de couture, la taille du fil et des ficelles, au débrochage j’ai pu retrouver les deux couleurs des tranchefiles, dont quelques résidus étaient fixés au dos des cahiers. Après nettoyage, je me rend compte aussi que les tranches étaient teintées, ocre jaune, mais que l’usure du temps, la poussière et l’exposition au soleil avaient effacé. Le bloc texte était intact mais la couture devait être refaite. Les gardes blanches était intactes, collées en contre-plat (pas de gardes couleur pour l’édition d’essai), il me fallait donc les décoller. Réparer les déchirures, combler quelques lacunes et nettoyer les gravures griffonnées par du coloriage d’enfant était nécessaire.

 

 

Bien entendu, tout travail, avant le démontage, commence par un album photo du livre en l’état et par noter tous les détails qui seront utiles pour le remonter : taille du mors, accentuation de l’endossure, taille des chasses, de la carte à dos etc…

 

 

 

Il m’a fallu réparer quelques fonds de cahiers, par chance les pages manuscrites étaient intactes. J’ai refait la couture à l’identique et consolidé le dos avec une bande de papier kraft.

 

Le papier ayant une mémoire de forme, la nouvelle couture suffit, une fois mis en presse, à retrouver le mors d’origine. Il n’y avait qu’à abaisser légèrement les cahiers pour retrouver la même endossure qu’avant le démontage, et la même largeur de dos.

 

 

 Il m’a fallut refaire les tranchefiles, avec les mêmes couleurs que celles laissées sur les dos de cahiers : écru et vert « empire », que j’ai vieillie avec de la terre pourrie pour qu’elle reprenne l’aspect ancien qu’elle devait avoir.

 

 

 Les tranches, quant à elles, sont de nouveau parfaitement lisses. Avec un mélange d’ocre, je retrouve la teinte des tranches qui a passé avec le temps. Pour la couverture, il m’a fallu retrouver un carton de la consistance et de la même épaisseur que l’originale, sur un livre dépareillé datant de 1839, de même que pour les papiers.
Ce genre de recherche demande beaucoup de patience, savoir où chercher et quels matériaux correspondent exactement aux critères recherchés (année, teinte, grammage, patine etc…)

 

 

Il restait un coin intact sur la couverture, ce qui m’a permis de refaire les autres à l’identique. Pour le cuir, j’ai repris un veau lisse naturel, et par touche successive, j’ai teinté le nouveau cuir comme l’ancien.
J’ai refait les passures telles qu’elles étaient disposées sur les cartons d’origine. Si le travail a bien été fait, les gardes couleurs doivent reprendre leur place au collage aux dimensions exactes des chasses mesurées avant le démontage.
Après nettoyage de la pièce de titre, le titre apparaît plus clairement, mais il faut conserver la patine d’origine. On ne retouche jamais à une dorure, surtout un texte. Le rouge de la pièce de titre étant la partie la plus exposée au soleil, il a fallu lui redonner du vif, et teinter légèrement sur le même ton le cuir sans toucher au titrage. Ayant pris soins auparavant de noter l’emplacement de la pièce de titre, il ne reste plus qu’à la recoller.

 

 

Il m’a fallu également consolider le dos : la carte à dos a été remplacée, et un soufflet en papier à la colle bleu a été refait également selon les quelques parties encore restantes sur le dos.

 

Avant et Après, voici ce à quoi devait ressembler cet exemplaire de musique unique avant d’avoir subit tous ces dégâts.

 

 

 Pour éviter de nouvelles dégradations, nous avons convenu avec le propriétaire d’ajouter un étuis, avec le même papier à la colle et le même cuir que celui du livre. L’harmonie entre l’ouvrage et son étuis est essentiel, la courbure des plats épousant l’arrondi du dos, il est une continuité du livre ; et l’étuis fait partie de la reliure préventive, le but pour son propriétaire étant de faire suivre ses ouvrages à ses enfants.

 

 

Le travail d’étude de Romberg a retrouvé une seconde vie, mais bien des recherches sont encore à faire : où sont les autres exemplaires de Mai 1839, combien y en a t-il exactement ? Amateurs de violoncelle, je vous invite à découvrir Heinrich Bernhard Romberg, que j’ai moi-même découvert grâce à ce travail de restauration de longue haleine, mais passionnant !

 

 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Thomas (dimanche, 24 janvier 2021 04:00)

    A Masterpiece! Thans for sharing Vincent!

  • #2

    Corinne vend des trucs (vendredi, 08 mars 2024 13:07)

    Fameux travail de restaurtion

    https://corinne-vend-des-trucs.fun/